samedi 12 septembre 2015

Trois ans et demi

4 nuits de prison;

7 nuits de prison;

13 nuits de prison.




Puis, pendant trois ans et demi:

Interdiction de prendre le métro ou l’autobus;

Interdiction de se trouver à moins de 300 mètres d’une station de métro ;

Interdiction de se trouver dans un établissement d’enseignement;

Interdiction de se trouver à moins de 300 mètres d’un établissement d’enseignement;

Interdiction d’habiter ailleurs que chez ses parents;

Interdiction de se trouver sur l’île de Montréal;

Interdiction de se trouver hors de la maison après 21 heures;

Interdiction de communiquer avec à peu près toute la communauté étudiante;

Interdiction de porter un sac;

Se rapporter au poste de police toutes les deux semaines;

Retrait du passeport;

Ce sont, grosso modo, les conséquences imposées aux étudiants qui ont plaidé coupable hier, conséquences qu'ils ont respectées pendant trois ans et demi;

Et pourtant, un journaliste de TVA, qui était dans la salle d'audience et qui a donc entendu les motifs de la peine suggérée conjointement et entérinée par la juge, explique à Pierre Bruneau qu’ils s’en sortent «sans aucune conséquence».


Et pourtant, Radio-Canada titre «pas de conséquences pour les manifestants».

Une seule question me vient en tête : Est-ce de la mauvaise foi ou de l’imbécilité?


mercredi 18 février 2015

Fouille à nu, viol visuel

« Fouille à nu » : action d’enlever ou de déplacer en totalité ou en partie les vêtements d’une personne afin de permettre l’inspection visuelle de ses parties intimes, à savoir ses organes génitaux externes, ses fesses, ses seins (dans le cas d’une femme) ou ses sous‑vêtements.




C'est la définition adoptée par la Cour suprême du Canada en 2001 de la notion de fouille à nu dans l'arrêt Golden.


L'état du droit en common law est donc très clair, les fouilles à nu «constituent une atteinte importante à la vie privée et, souvent, une expérience humiliante, avilissante et traumatisante pour les personnes qui les subissent.» (Golden, par. 83)

Pourquoi?

Les fouilles à nu sont donc fondamentalement humiliantes et avilissantes pour les personnes détenues, peu importe la manière dont elles sont effectuées; voilà pourquoi l’on ne peut tout simplement y recourir systématiquement dans le cadre d’une politique.  Les qualificatifs employés par les personnes pour décrire l’expérience qu’elles ont vécue lorsqu’elles ont été ainsi fouillées donnent une idée de la façon dont une fouille à nu, même lorsqu’elle est effectuée de façon raisonnable et non abusive, peut affliger les personnes détenues : « humiliant », « dégradant », « avilissant », « bouleversant » et « dévastateur » (voir King, précité; R. c. Christopher[1994] O.J. No. 3120 (QL) (Div. gén.); J. S. Lyons,  Toronto Police Services Board Review,  Search of Persons Policy -- The Search of Persons -- A Position Paper  (12 avril 1999)).  Certains commentateurs vont jusqu’à parler de [TRADUCTION]  « viol visuel » pour décrire les fouilles à nu (P. R. Shuldiner, « Visual Rape : A Look at the Dubious Legality of Strip Searches » (1979), 13 J. Marshall L. Rev. 273).  Les femmes et les minorités en particulier peuvent éprouver une véritable crainte des fouilles à nu et vivre de telles fouilles comme une expérience équivalant à une agression sexuelle (Lyons, op. cit., p. 4).  Sur le plan psychologique, les fouilles à nu peuvent être particulièrement traumatisantes pour les personnes qui ont déjà subi des agressions (Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, La Prison des femmes de Kingston (1996), p. 93-97).  Les fouilles à nu systématiques peuvent aussi constituer une expérience désagréable et difficile pour les agents de police qui les effectuent (Lyons, op. cit., p. 5-6). (Golden, par. 90.  Je souligne)

Ces fouilles à nu peuvent être effectuées uniquement avec un mandat, ou alors de manière accessoire à une arrestation par ailleurs légale.

Aucune décision canadienne n'a permis à la direction d'une école d'humilier sexuellement une élève en la déshabillant en totalité.


Jamais.

Et jamais nos tribunaux n'ont prétendu qu'une fouille à nu peut être effectuée «de manière respectueuse», dixit notre ministre de l'éducation.

L'arrêt M.R.M de la Cour suprême avec lequel se gargarisent le ministre et nos commissions scolaires pour justifier la fouille des élèves concernait les fouilles sommaires et non les fouilles à nu. L'élève avait dû vider ses poches, et soulever un peu son bas de pantalon.








vendredi 6 février 2015

Prison à perpétuité, sans possibilité aucune de libération conditionnelle



Un jour, une collègue m’appelle pour que je me rende au Centre régional de réception, un pénitencier de Ste-Anne-des-Plaines où les condamnés sont triés, classifiés et finalement conduits vers leur destination des prochaines années, afin de rencontrer un gars qui venait d’être trouvé coupable de meurtre au premier degré et, par conséquent, condamné à une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

On n’insistera jamais assez : la libération après 25 ans n’est toujours qu’une possibilité et elle est conditionnelle à perpétuité. 

Je me rends donc au CRR. Routine. Je fais une entrevue avec le client. Routine. J’écoute son histoire. Routine. Je reviens au bureau et je commande les CD des directives du juge au jury et de quelques témoignages, en plus de lire deux ou trois jugements rendus par le juge en cours de procès.  Routine.  J’accepte de porter sa cause en appel parce que je suis d’avis que, théoriquement, du point de vue des principes de droit, il y a des choses qui clochent.  Routine.

On ne va pas toujours en appel parce qu’on croit à l’innocence morale de nos clients. On va en appel parce que les principes de justice fondamentale, celle qui tend vers la Justice platonicienne et qui structure notre système de droit, nous semblent avoir été bafoués. On va en appel pour la cause. Celle de l’État de droit.

Ce client ne m’a jamais dit «je ne l’ai pas tué».  Pas son genre.  C’était pas un braillard. Il n’a d’ailleurs pas témoigné à son procès. Il n'aurait pas pu. Il ne faisait que souligner, en théoricien, tel un juriste, ce qui lui semblait être des accrocs à la vérité pendant son procès, de la même manière que je portais sa cause en appel non pas en pensant «il ne l’a pas tué» mais en arguant que la preuve d’identification était chétive, qu’un des témoignages policiers était ignominieux et que certaines directives du juge au jury étaient souffreteuses.

Un jour, pendant une rencontre avec lui au pénitencier, alors que je (me) posais des questions sur le nombre de mètres entre X et Y et sur la possibilité de courir à gauche plutôt qu’à droite, bref, alors que je tentais de comprendre la scène de crime d'un point de vue spatio-temporel, et ce après plusieurs mois de travail et plusieurs rencontres avec lui, il (se) chuchote, comme in petto même si j’ai entendu et qu'il devait bien savoir que j'entendrais, une phrase qui se terminait par «because quand j’ai entendu les coups de feu, j’étais dans le char avec X sur la rue Y».

Ça y était. J’avais un aveu de son innocence. Plus tabou qu'un aveu de culpabilité. J’avais un non coupable dans la face. Non coupable du geste pour lequel il avait été condamné du moins. La liberté d’un non coupable dans les mains. Je l’ai regardé dans les yeux, il a soutenu mon regard, et on a continué à parfaire ma compréhension de la spatio-temporalité de la scène du crime. Il s’était échappé et j’ai fait comme si je n’avais rien entendu. Sauf que dans mon ardeur au travail, quelque chose avait changé. Sur le chemin du retour vers la maison, je n'ai ni allumé la radio, ni parlé au téléphone, ni excédé la limite de vitesse permise. J'ai roulé, lentement, pour ne pas chavirer. 

Exit la routine. Je voulais gagner son appel avec mon cœur et non avec ma tête. 

Est-ce que ce gars était totalement blanc et pur?  Un Saint Innocent? Évidemment que non, puisqu’il était dans un char avec X sur la rue Y. On ne se retrouve pas en secret dans un char avec X sur la rue Y quand on est un Saint Innocent. Est-ce qu’il s’était fourré dans des emmerdes pas possibles en frayant avec des brigands où il s'est rendu moralement coupable d’une certaine forme de complicité? Probablement. 

Mais à son procès, trois témoins saouls sortant à peine de l’adolescence avaient juré qu’ils l’avaient vu tirer, lui et lui seul, et un policier avait sommé le jury de croire que le tireur ne pouvait qu'être lui.

Ce gars-là était attachant et vraiment intelligent. Un bon gars. Je vais même préciser, pour les bonnes gens, que c'était un vrai gars de bonne famille et qu'il s'en est fallu de peu pour qu'il reste un gars ben ordinaire. N’importe quels parents auraient pu s’identifier aux siens.  

Pendant sa détention, alors que le processus d’appel suivait son cours, il s’est fait une blonde. 

Elles sont intrigantes ces filles qui tombent amoureuses de détenus alors je vais raconter l’histoire. Il l’a connue au téléphone, par hasard. Il avait appelé un copain mais le copain était absent. C’est la blonde du copain qui avait répondu. Vous savez, quand un gars détenu au pen appelle, on ne se contente pas de dire «il est absent pour le moment» : on prend le temps de jaser. Donc il a placoté avec la blonde de son ami au téléphone, via l’appareil main libre de la voiture. Or, une copine de la copine était assise sur le siège passager et elle a pris part à la conversation. C’est là que le mystérieux béguin a pris naissance. Ils se sont reparlé. Petit à petit, ils ont eu envie de se voir. Il l'a ajoutée à sa liste de visiteurs. Puis elle est allée le voir. Puis leur relation s'est qualifiée de «relation personnelle étroite», ce qui leur a permis d'accéder au privilège des «visites familiales privées», dit autrement, d'accéder à la roulotte. Environ tous les deux mois, ils ont eu droit à de l'intimité pendant quelque 48 heures. J’ai rencontré cette fille une fois et je lui ai parlé au téléphone à de nombreuses reprises. C’est une fille sensée. J’ai beau ne pas comprendre, je dois faire le constat que c’est une fille équilibrée, aimante et solide.

Quand j’ai perdu en appel, elle était enceinte et lui était heureux comme un enfant.  Quand la Cour suprême a refusé d’entendre l'appel de l'appel. Elle avait accouché d’un bébé garçon.

Il lui reste environ 15 ans à purger avant d’être admissible à une libération conditionnelle et je sais, avec toute la force de mon intime conviction, qu’il ne se remettra plus jamais les pieds dans un pétrin de cette (dé)nature.

Si un projet de loi immonde comme celui des conservateurs entrait en vigueur, il resterait détenu jusqu’à sa mort.

Quand la Cour suprême a refusé d’entendre son appel, j’ai pleuré.  C’est la deuxième fois de toute ma vie d’avocate que je braille pour un dossier.  Deuxième fois de ma carrière que mon client, au téléphone, entend que je retiens un spasme en feignant le professionnalisme.

Quand je pense au projet de loi des conservateurs d’abolir la possibilité de libération conditionnelle ou de la rendre toujours de plus en plus inatteignable, c’est à lui que je pense.


On peut penser aux vrais, purs et chastes innocents.  On peut penser aux monstres réhabilités. Moi je pense à tous ceux qui ne sont ni l’un, ni l’autre : ceux qui n’ont jamais été totalement innocents sans être de vrais malades en voie de réhabilitation. Ceux qui ont sans doute commis l’erreur de frayer avec le mal sans avoir jamais été totalement mauvais et qui assument, in petto