samedi 8 mars 2014

La Cour suprême et le condom percé

La Cour suprême a rendu une décision dans l'affaire Hutchinson hier le 7 mars sur la notion de consentement à une activité sexuelle.

On a eu tendance à commenter la nouvelle comme si c’était une grande avancée, ou un grand recul, c’est selon.  Comme si la Cour suprême venait de changer le droit en intégrant une notion nouvelle de tromperie, de malhonnêteté, dans le théorie juridique du consentement sexuel.

Or, la notion de vice de consentement existe depuis bien longtemps en matière d’agression sexuelle.  Il y a deux manières de ne pas consentir :  1) ne pas consentir et 2) consentir sans en avoir la capacité ou sans savoir à quoi l'on consent réellement.

Article 265 du Code criminel canadien


L’exemple le plus frappant qui nous vient de la jurisprudence est ancien: un homme s’insère dans le lit d’une femme, a une relation sexuelle avec elle de manière en apparence consensuelle alors que la femme croit que cet homme est son mari.  Il y a un consentement, mais celui-ci est vicié.  La femme n’aurait pas consenti sachant que l’homme n’était pas son mari.

La décision de la Cour suprême n’étonne aucun juriste, d’autant plus qu’elle portait sur une question bien pointue :  Dans le cas d’un condom percé à l’insu de la principale intéressée, s’agit-il d’une absence de consentement pure et simple, ou s’agit-il d’un vice de consentement?

C’est la seule question à laquelle devait répondre la Cour suprême.  Aucun juriste ne croyait que la Cour allait décider qu’il n’y avait pas là une agression sexuelle, il s’agissait simplement de savoir si l’approche adoptée serait celle du consentement inexistant, ou du consentement obtenu frauduleusement.

Ça change quoi de savoir s’il y a eu absence de consentement ou consentement non éclairé si, dans les deux cas, on arrivera à un verdict de culpabilité pour une agression sexuelle?

Ça change une chose importante :  Avec l’approche adoptée par la majorité (et par le juge dissident devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) on tend à éviter le risque d'une plus grande ingérence de l’État dans le lit des gens.

Le droit reconnaît depuis longtemps l’existence de limites empêchant la société de réaliser complètement cet objectif [la protection du droit d’une personne à décider elle elle va participer à une activité sexuelle, et avec qui elle le fera] au moyen de l’instrument grossier que constitue le droit criminel.  En effet, comme le recours au droit criminel représente l’atteinte la plus grave de l’État à la liberté des gens et l’immixation la plus sérieuse de celui-ci dans leur vie, l’État se doit de l’utiliser avec la modération appropriée pour éviter la surcriminalisation. (Paragraphe 18 de l'arrêt Hutchinson)

Car, suivant cette approche, la relation sexuelle est une relation sexuelle, sans plus. «L'instrument grossier qu'est le droit criminel» n'a pas à définir toutes les composantes de chaque relation sexuelle pour décider du consentement ou de l'absence net de consentement. Le Code criminel exige qu’on se demande s’il y a consentement à l’activité sexuelle, point.  On n’a pas à en connaître tous les tenants et aboutissants pour décider s’il y a eu, oui ou non, un consentement.   C’est uniquement lorsque une preuve de consentement obtenu frauduleusement émerge  qu’on passe à la deuxième étape qui est celle de se demander si cette supercherie a vicié le consentement.  Et cette preuve doit être faite, hors de tout doute raisonnable.

Une fraude s'entend ici d’une tromperie qui cause un préjudice, ou un risque réel de préjudice, et cela  aussi doit être prouvé.  

Les juges minoritaires, pour leur part, à l’instar des juges majoritaires en appel, auraient décidé qu’il n’y a pas de consentement et que nous n’avons pas besoin de pousser l’analyse jusqu’à l’étape du vice de consentement parce que, selon eux, la dame n’avait pas consenti à cette activité sexuelle, à l’activité sexuelle in question.  (Il est intéressant de noter que cette portion du texte de l’article 273.1(2) du Code criminel, «in question», n’est présente que dans la version anglaise du Code.)

Cette approche est contraire aux arrêts récent de la Cour sur la transmission d’ITS, ou sur le risque de transmission d’ITS lorsque la charge virale est élevée et qu'aucun condom n'est utilisé, à l’insu du partenaire.  Elle est contraire aussi à l’état du droit, de manière large, sur les vices de consentement en matière d’abus sexuel.

Dans le cas de cette femme qui faisait l’amour avec des condoms sabotés à son insu, il est clair, pour la Cour majoritaire, qu’elle a consenti à la relation sexuelle.  La preuve à faire est donc plus sérieuse.  L’État doit prouver la fraude, le tromperie, le préjudice ou le risque réel de préjudice.  L’État doit prouver que cette femme n’aurait pas consenti si elle avait su que les condoms étaient percés.   Et cette preuve a été faite en l'espèce.

Et maintenant, la question que tout le monde pose.  Une femme qui, à l’insu de son compagnon, ne prend pas ses contraceptifs oraux (ou crève les condoms) et qui, toujours à l’insu et sans l’accord de son compagnon, devient enceinte, pourrait-elle être accusée d'agression sexuelle?  Le droit n’étant pas une science exacte, tous les juristes ne s’entendent pas là-dessus.

Personnellement, je crois que si l’on suit le raisonnement de la Cour, oui, elle le pourrait.  Il y a tromperie, et il y a un préjudice clair pour l’homme devenu père sans le vouloir.  Il ne s’agit pas d’un préjudice physique, évidemment, mais la Cour suprême a depuis longtemps décidé que les lésions peuvent être psychologiques.

Va-t-on pour autant assister à une pléiade de poursuite criminelles pour des «bébés faits dans le dos» du géniteur, je ne le crois pas, mais ça, c'est juste ma boule de cristal bien peu rigoureuse.