samedi 5 avril 2014

Speculum – de l’autre flèche.


 
Léa Clermont-Dion
Photo: Charles-Henri Debeur
Léa Clermont-Dion a 23 ans, c’est son anniversaire aujourd’hui.

On a connu Léa quand elle a avait 17 ans et qu’elle avait piloté la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifié. Elle a dernièrement initié, avec d’autres, une pétition dénonçant les concours de mini-miss.   Son premier livre, La revanche des moches, vient de paraître chez VLB.  

Léa est aussi bachelière en science politique à l’UQÀM et entreprend bientôt une maîtrise en sciences politiques jumelé à un DESS en études féministes à l’Université Laval.  Cet été, pour débuter son DESS, elle sera de l’Université féministe d’été de la Chaire Claire Bonenfant de l’Université Laval.

Va pour les présentations.

Les adolescentes connaissent Léa Clermont-Dion.  Elles s’identifient à elle parce que son discours les interpelle.  Son discours, c’est surtout celui d’une image corporelle saine et diversifiée.

Mais Léa a un défaut : elle se maquille un peu.  Je devine même qu’elle commet un pire péché: Léa doit s’épiler les aisselles.  Oui, je le crains consœurs, la jupe de Léa doit cacher une jambe lisse.

C’est ce qu’on apprenait hier dans une lettre ouverte acerbe  sur le site Je suis féministe.  Plus clairement, l’auteure de cette lettre nous explique que Léa, c’est une salope.  (Avant que la lettre ne soit censurée par Je suis féministe, on pouvait même y lire «si j'étais réellement moche et que tu osais parler en mon nom, je te casserais probablement la gueule»). Une salope donc, à qui on a envie de casser la gueule. Parce qu’elle est belle et parce qu’elle participe à des séances de photos.  Pour des magazines féminins. Elle ne peut donc pas être une vraie féministe.  

Si elle était une vraie féministe, elle ne travaillerait pas à La Voix (euh?). Car les vraies féministes s’accomplissent dans des milieux d’hommes, toujours selon l’auteure. Léa devrait donc arrêter d’essayer de convaincre les jeunes filles qu’elles sont belles dans toutes les dimensions, et faire un doctorat en physique quantique. Ou aller travailler sur un chantier de construction.

Le texte est tellement venimeux qu’il va même jusqu’à reprocher à Léa de n’avoir pas été à ses assemblées étudiantes pendant le printemps étudiants.  Mais pauvre Léa, elle était en France à cette époque ou elle faisait un peu de philosophie politique, et son implication enthousiaste s’est surtout manifestée par ses billets dans le Voir. Ce n’est pas encore assez.  Alors qu’on reproche à Léa d’en faire trop, on lui reproche étrangement d’en faire aussi trop peu. Encore une double contrainte qu'on veut imposer à une femme.  Aux femmes?  

Évidemment, répondre à ce texte, c’est un peu comme de répondre à un règlement compte.  Car la hargne de l’auteure est si peu canalisée qu’elle transparaît dès la troisième ligne alors qu’on n’est même pas encore au cœur du sujet.  À la troisième ligne, on parle de poids, du poids de l'auteure, celui de Léa, je ne sais plus. Je m'en fiche un peu, je n'ai pas de balance.

Pourquoi répondre à ce déversement de rage inexpliqué? Parce qu’on est la féministe que l’on veut.  Et parce que la burqa de chair, que l’auteure ose invoquer, sans qu’on sache trop si elle compare le paradoxe de Léa et son mascara au paradoxe Nelly Arcan, n’a rien à voir avec quelque réflexion féministe théorique.

On est la féministe que l’on veut.  Il n’est pas question de s’autoproclamer féministe, comme si seules les membres d’un clan d’initiées avaient droit au titre. 

Le féminisme est pluriel. «Il n'est pas qu'un seul féminisme»*. Mais pour moi, un féminisme autoritaire ne peut pas en être un. Le propos de l'auteure est encore plus mal équilibré qu’une féministe juchée sur des talons hauts. Parce qu’il est moralisant, autoritariste, exclusiviste, hiérarchisant.  La bonne et la mauvaise féministe.  «Viens icitte ma belle fille, je vais te montrer c’est quoi une vraie féministe.».  

Une vraie féministe?  

Je suis féministe a répondu que le texte posait de bonnes questions.  Ah oui? Lesquelles?  Le maquillage?  Le botox? Ou celles du vieux rêve de symétrie dont traitait Luce Irigaray

J’ai presque l’âge d’être la mère des deux protagonistes de cette triste bataille. Je me définis comme féministe depuis toujours. Je suis avocate criminaliste, métier historiquement réservé aux hommes.  Dans une autre vie, j’ai fait des études en philosophie à une époque où nous étions environ cinq filles par classe et où il y avait trois femmes profs au département de philosophie de L’UQÀM. Mes clients sont presque uniquement des hommes, des gros hommes tatoués et mal rasés.  Et vous savez quoi? J’ai péché mon Père: J’ai des implants mammaires.  Symbole si extrême d’asservissement que je devrais sans doute me taire quand il est question des droits des femmes.

On croirait entendre une Janette interdire à Dalila Awada de se dire féministe.

Le féminisme ne peut pas être un autoritarisme.  Et il ne peut pas, surtout pas, être misogyne.


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* Élisabeth Mercier, 
Ni hypersexualisées ni voilées ! Tensions et enjeux croisés dans les discours sur l’hypersexualisation et le port du voile « islamique » au Québec, thèse de doctorat, Université de Montréal, mars 2013, p. 26.

15 commentaires:

  1. Même en se considérant moche, quelqu'un peut profiter de privilèges en étant conventionnement belle; sans avoir à changer sa façon de se présenter, Léa doit prendre en considération sa position de privilège avant de s'insérer dans une discussion sur l'apparence.
    Ce dernier processus à été oublié et c'est ce qui est reproché à Léa dans l'article e jesuisfeministe

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    1. Il n'y a pas que l'apparence physique qui peut être «moche» madame Robert.

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    2. SAINT PÈRE; À l'ère où les femmes en subissent l'ablation préventive (en de circonstances particulières évidemment), vous jouez l'ouverture d'esprit qui vient servir la cause avec une soi-disant honnêteté. Tout ça n'est que simulacre Mme Roberts. Les femmes fières de l'être assurent dans la vie, poitrine plate ou pas. Vous n'étiez pas heureuse pour vous soumettre de la sorte à une intervention invasive. Vous l'avez fait par dépit. Satisfaire un standard ou un individu. Dans les deux cas c'est d'une tristesse immense pour toute femme diffusant un discours sur le féminisme. Avant d'approfondir sur ce terme et d'en avoir le feu vert, la femme doit être bien dans sa peau, sûre d'elle et se sentir jolie malgré que le message extérieur vous renvoie le contraire. Ne pas être Léa, être simplement ordinaire sans seins, être low profile, ne fait pas de vous une femme sans intérêt. C'est heureux car aujourd'hui ce n'est plus une profession réservée aux hommes, il y en a des milliers, vous êtes tout-de-même une bachelière en droit. Vous devriez vous en réjouir et vous accepter. Je voulais en premier lieu n'évoquer qu'un pan de la présente argumentation. J'ai néanmoins tenu à vous encourager. Un conseil: prenez-le comme un rapport tout simple de solidarité. Ne parlez pas publiquement de vos implants. C'est un aspect inconséquent avec l'avancement de la cause des femmes. Je ne crois pas qu'il faille défaire ce qui a été construit juste par la facilité qu'ont certaines femmes à s'épancher sur leurs démarches médicales parce qu'elles n'aimaient leurs corps, ou la partie de celui-ci n'ayant pas évolué. Le féminisme est plus complexe. Les femmes courageuses, par conséquent respectables qui ont tout défriché, ne méritent pas de lire ce genre de propos à ce point régressifs. Peut-être serait-il mieux de vous en tenir à votre métier? Vous deviendrez meilleure et vous vous aimerez davantage. Avec le temps il est même possible que la nature simple (ne pensez pas au mot moche) de votre aspect physique vous passe dix pieds par-dessus la tête. Je souhaite que jeanette, payette, lisette, léa, astride, ne tombent pas comme moi sur ce blogue! Bonne chance, vous deviendrez bonne.

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  2. La réplique ne s'est pas fait attendre. Je suis plutôt décontenancée qu'elle vienne de de vous, Mme Robert. Je vois qu'il y a une incompréhension majeure au sujet de certains points:
    - Je plais généralement physiquement aux garçons (et peut-être filles aussi, j'en sais rien);
    - JE ME MAQUILLE (bon par contre je m'épile pas toujours les jambes, je l'avoue, c'est un peu chiant et ça met de la cire partout dans la salle de bains);
    - Malheureusement, Léa était au Québec pendant la grève. Dans la version originale, je dis même qu'elle a voulu partir en voyage pendant ce "congé" jusqu'à ce que la grève devienne assez people pour elle. Mon bon, on m'a dit que ce n'était pas super intéressant pour l'argumentaire de raconter cette anecdote. Je crois qu'on en fera pas la bataille centrale;
    - La version originale n'a pas été "censurée", j'ai reçu des commentaires critiques de la part des filles de JSF et j'ai essayé d'améliorer mon texte pour le rendre plus constructif, justement, et moins "attaque personnelle" même si ça le reste un peu, je le concède;
    - Je n'ai pas essayé de dire que Léa n'était pas une féministe. Je me suis moi-même rappelée à l'ordre en écrivant mon texte pour enlever le "soi-disant". Je crois seulement qu'elle a un discours féministe assez peu élaboré somme toute, qui se limite à la question de l'image corporelle, et j'essaye de faire ressortir la contraction avec le fait que son image publique lui est très très chère, au point où elle est prête à faire des choses qui n'ont absolument rien à voir avec sa lutte et son parcours académique pour rester dans le showbizz, comme La Voix, émission que je ne connaissais par ailleurs pas avant qu'on me parle de cette controverse, parce que je n'ai pas de télé (oui, je prêche encore par pureté);
    - La lutte des féministes est bel et bien de revendiquer un espace dans la société qui était auparavant proscrit aux femmes pour des raisons, il me semble, trop souvent essentialistes ou biologisantes: les femmes, ça ne travaille pas, ça doit s'occuper des enfants puisque ce sont elles qui les portent et les allaitent; les femmes, ça ne vote pas puisque leurs menstruations les rendent hystériques et les empêchent de réfléchir rationnellement, etc. Donc, il me semble légitime que la lutte des féministes soit d'encore élargir cet espace jusqu'à ce qu'il soit le MÊME que celui des hommes car aucune différence biologique ne justifie cette injustice. Ce qui m'étonne le plus, c'est que c'est justement ce que fait Mme Robert. Enfin...
    - Est-ce que je suis jalouse? J'ai retourné ça dans ma tête toute la semaine. J'arrive à la conclusion que ce que je lui envie, c'est cet espace de parole qu'on lui donne pour dire au fond si peu de choses. Ce n'est pas seulement pour moi, mais pour tellement d'autres jeunes femmes que je connais. J'aimerais qu'on puisse débattre de féminisme sur la place publique (ça semble déjà bien parti). Des suggestions constructives? Hey Radio-Can, ça te tente-tu de faire une plage horaire hébdomadaire pour qu'on parle de féminisme? Ça sera dur de faire venir des anarchistes à la radio d'État mais je promets d'essayer...

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    1. «au point où elle est prête à faire des choses qui n'ont absolument rien à voir avec sa lutte et son parcours académique pour rester dans le showbizz, comme La Voix»
      A t-elle le droit de faire ce qu'elle veut? Travailler sur un projet d'envergure comme la voix doit être excitant, intéressant et on doit y apprendre beaucoup. Sa vie ne se résume pas à sa lutte, c'est SA vie, elle fait ce qu'ELLE veut? Voyons donc!
      Pour la plage horaire de radio can pour les anarcho-communistes-fémistes, je me demande si ce serait possible compte tenu des publicités de cosmétiques ou de produits amaigrissants qui passent à la télé... parce que selon vous, on ne peut profiter d'une tribune si celle-ci fait la promotion de produits de beauté...

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  3. J'aimerais bien entendre et voir des anarcho-féministes à Radio-Can moi aussi...

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  4. La petite jeune fille qui pourfend la jeune Léa qui a tous les talents et est belle en plus crève de jalousie. C'est une maladie et la jeune féministe enragée devrait se faire soigner. Et on s'en fout de ses jambes poilues ou épilées. Trop d'information. Ça tire vraiment sur le ridicule. Bref, madame Robert, merci pour votre texte et vive la liberté!

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    1. ''La jeune féministe enragée''... misère

      Quand Léo Bureau Blouin a été critiqué lors de la grève, est-ce qu'on a accusé les militants d'être jaloux?

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    2. Je croyais avoir répondu à cet argument mais je comprends que je vais me le faire resservir à toutes les sauces...

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    3. Je ne comprend pas, Femme libre, pourquoi vous n'avez pas seulement écrit votre remerciement à Mme Robert. Les trois lignes qui ne font qu'insulter l'auteure du premier texte. Attaquer sa santé mentale, pour vrai? La traiter d'enragée, ridiculiser sa tentative de prise de parole? Vous dites vive la liberté, mais la liberté de qui? Si une personne ne peut pas écrire un texte critique sans se faire dire d'aller consulter un spécialiste de la santé mentale et se faire traiter de jalouse... Bref, c'tun peu facile et bas, mais une chance que vous être libre, comme ça vous pouvez le dire

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  5. Je trouve que ça parle pas mal de poil de jambes, pour un thread sur le féminisme. Au fond, je pense que la VRAIE DE VRAIE jalousie est envers le prénom de l'auteure, qui est le même que notre chanteuse nationale.

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    1. Merci de me faire rire un peu, ça commençait à devenir pesant...

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  6. Chère Céline,

    Léa Clermont-Dion ne fait partie d'aucune tribune féministe actuellement dans les médias. Alors, s'il te plaît, checke tes sources.

    As-tu déjà accordé une entrevue à la télé ou à la radio? Ça dure à peu près cinq / six minutes, c'est ben, ben dur d'expliciter une thématique.

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  7. Texte vraiment intéressant. Faut l'envoyer à la Fédération des femmes du Québec . Vite !

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