dimanche 9 décembre 2012

Gabriel Nadeau-Dubois et l'outrage civil


Outrage civil et outrage criminel, petit billet pédagogique

Il y a le droit criminel, qui oppose un individu à l’État, comme quand la police et le ministère public (qu'on appelle aussi La Couronne, le DPCP, la Poursuite), vous accusent de vol à l’étalage.

Il y a le droit civil, qui oppose deux parties privées, comme quand le voisin vous poursuit pour avoir un bout de votre terrain.

Il y a aussi le droit pénal, qui se rapproche du droit criminel en ce que les règles de preuve sont les mêmes et les règles de procédures semblables.  C’est encore l’État qui poursuit, mais sur la base de lois provinciales, comme quand vous vous faites arrêter pour un excès de vitesse :   le Code de la sécurité routière régit votre accusation.  Vous payez une amende.  Vous n’avez pas de casier judiciaire.

En droit criminel, il est possible de citer un individu pour outrage au tribunal.  Souvent, c’est le comportement de l’accusé ou d'un témoin à la Cour qui amène le juge à le citer pour outrage au tribunal.  Cet individu fera face à une nouvelle accusation, en plus de celle pour laquelle il se retrouvait devant le juge initialement.  Le Code criminel, une loi fédérale, prévoit plusieurs formes d’outrage au tribunal.

On dit alors, dans le jargon, qu’il s’agit d’un outrage criminel.  La procédure relève du droit criminel qui est de compétence fédérale, la personne sera jugée par une instance criminelle et, si elle est condamnée, aura un antécédent d'outrage au tribunal dans son casier judiciaire, qui relève aussi du fédéral.
Gabriel Nadeau-Dubois était poursuivi par Jean-François Morasse pour non respect d’une injonction de nature privée.  L’injonction opposait un individu et une association étudiante, donc deux parties civiles.  On est ici en droit privé.  On n’est pas en droit public.  L’État n’est pas mêlé au dossier.

L’intitulé de la décision de l’honorable Denis Jacques nous indique dans quel domaine de droit on se situe.  «Jean-François Morasse - demandeur- contre Gabriel Nadeau-Dubois - défendeur».  On est en droit civil.

Lorsqu'on est en droit criminel, l'intitulé implique toujours Sa Majesté la Reine (eh oui!).  Un exemple  ici.  On constate que la Reine est «poursuivante»;  elle ne demande rien, elle accuse.  La justiciable, pour sa part,  est «accusée».

La condamnation qui fut prononcée contre Gabriel Nadeau-Dubois est une condamnation civile.  Si vous lisez la décision, cette condamnation prend assise dans le Code de procédure civile, une loi provinciale, et plus particulièrement à l’article 50 de ce Code.


Ceci étant dit, comme les conséquences d'une condamnation sont de nature pénale, les règles de preuve sont celles du droit criminel. D'où le fait que le juge a exigé que la partie demanderesse fasse la preuve hors de tout doute raisonnable.  C'est la même chose avec toutes les lois provinciales qui comportent des dispositions punitives.

Mais il s'agit tout de même d’un outrage civil, et non d’un outrage criminel. Il ne s'agit surtout pas, comme je le lisais un peu plus tôt dans une lettre ouverte à La Presse, d'une «condamnation criminelle».   Bien qu’une peine de prison soit possible, la Loi sur le casier judiciaire, une loi fédérale, n’a rien à voir dans l’histoire.  Et Gabriel Nadeau-Dubois n’aura pas de casier judiciaire, même si on l’envoie séjourner quelques jours en prison, pour en faire un exemple, ou un martyr, c’est selon.

Billet publié initialement le 3 novembre 2012 sur mon blogue du Voir

Minouches dans le dos


- LA CARTE DES AGRESSEURS SEXUELS DU JOURNAL DE MONTÉAL -

Le Journal de Montréal vient de publier ce qu’il prétend être «carte des agresseurs sexuels».  Il s’agit, si l’on en croit le titre, d’une carte géographique servant à localiser les agresseurs sexuels, ou encore les pédophiles, ce n’est pas très clair puisque lorsque l'on clique sur la carte, un nouveau titre apparaît :  «Demeurez-vous près d’un pédophile».


En fait, si on lit les plus petits caractères de Marc Pigeon – car il faut toujours lire les petits caractères de Marc Pigeon pour ne pas se faire remplir – on comprend qu’il s’agit d’accusés et non de condamnés.  Il ne s’agit donc pas d’une carte géographique des résidences d'agresseurs sexuels, mais d’une carte géographique des résidences de gens qui sont accusés d’agression sexuelle.

Premier leurre.  Première bassesse.

Ce que le Journal de Montréal a répertorié, donc, ce sont des causes pendantes d’agression sexuelle, des causes où l’accusé est encore présumé innocent, des causes où la gravité subjective de l’acte n’est pas mentionnée, des causes où les accusations seront peut-être abandonnées,  où l’accusé sera peut-être acquitté, où la Couronne déclarera peut-être finalement qu’elle n’a pas de preuve à offrir.

L’agression sexuelle est un crime objectivement très grave.  Je suis une femme, féministe, et jamais je ne banaliserai l’agression sexuelle en-soi.

Il y a toutefois de nombreux dossiers d’agression sexuelle totalement abracadabrants qui se retrouvent à la Cour et qui parfois mènent à une condamnation ou à un plaidoyer de culpabilité.

Deuxième problème.  Deuxième abomination.

Qu'il suffise de raconter ici une histoire.  Elle se déroule au palais de justice de St-Jérôme.

Un jeune homme dans la vingtaine avancée, sans antécédent judiciaire, est en instance de séparation.  Il est avec sa blonde/ex blonde dans la maison qu’ils habitent encore ensemble quand ils ne sont pas en chicane.  Un soir harmonieux où ils se font une soirée-télé, elle l’invite à venir s’étendre avec elle. Elle lui demande des «minouches dans l'dos» pour s’endormir.  (Il expliquera à son avocate que, souvent, ils débutaient leurs jeux amoureux et sexuels par des «minouches dans l'dos».)

Le jeune homme s’exécute et commence doucement ses «minouches dans l'dos».  Malheureusement, il a avancé une main téméraire, sans permission, sans consentement, vers le sein de sa blonde/ex blonde.  Elle s’est fâchée et elle a porté plainte pour agression sexuelle.  Le dossier a suivi son cours devant la justice.

Pour moi, c’est une affaire qui n’aurait  pas dû être judiciarisée.  Mais ce n’est pas le sujet.

Le sujet, c’est que ce jeune homme se retrouve sur la carte des agresseurs sexuels du Journal de Montréal.  Avec tous les autres qui n’ont pas été condamnés et qui ne le seront peut-être jamais.

Billet publié initalement le 29 septembre 2012 sur mon blogue de Voir