vendredi 3 juin 2011

La parole criminelle


« la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres »
Lorsque Jeff Sabres a été arrêté après avoir répandu son fiel haineux sur Twitter, chacun se demandait de quoi il allait être accusé.
S’il a menacé des gens, ça peut être un crime.  S’il a tenu des propos qui incitent à la haine,  ça peut être un crime.  S’il a publié des choses qui minent la réputation d'autrui, ça peut être un crime.  S’il a écrit des faussetés diffamantes sur des gens, ça peut être un crime.  Enfin, s’il a communiqué avec des gens de manière répétée jusqu'à leur faire peur, ça peut être un crime.
Puisque je n’ai pas lu toute la prose de monsieur Champagne, et puisque je ne connais pas la preuve que possède la Couronne, et encore moins son état d’esprit au moment des gestes commis, je ne fais aucun postulat quant à sa culpabilité ou son innocence.  Simplement envie de clarifier ces notions de crimes qu’on commet en parlant, en écrivant, ou en publiant, sur le web ou ailleurs.
Proférer des menaces[1]

Extrait de Twitter du 1er juin.
 Ça frôle la menace, mais c'en n'est pas.

Il s’agit de menacer soit 1) de causer la mort ou des lésions corporelles (ce qui comprend des blessures psychologiques graves), 2) de brûler, détruire ou endommager des biens meubles et immeubles ou 3) de tuer, blesser, empoisonner un animal qui est la propriété de quelqu’un.
Dans le cas des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles, la peine maximale est de 5 ans.  Dans les autres cas, la peine maximale est de 2 ans.
La mens rea, c'est-à-dire l’intention criminelle de la menace, n’est pas d’avoir eu l’intention de mettre ses « promesses » à exécution.  Il suffit d’avoir eu l’intention de faire craindre et d’avoir eu l’intention que cette menace soit prise au sérieux.
Concernant cette crainte, il faut aussi prouver, pour qu’il y ait menace au sens du Code criminel, que la personne raisonnable qui aurait reçu la menace aurait eu raison de craindre.  Il est des situations où les mots ne peuvent pas raisonnablement faire craindre, bien qu’ils eurent été menaçants dans un autre contexte.   L’exemple jurisprudentiel classique (R. c. Abdelhay) : Un paraplégique qui se déplace en fauteuil roulant ne peut pas être trouvé coupable de menace pour avoir dit à la plaignante qu’il allait la battre.
Harcèlement criminel[2]
Le harcèlement sexuel au travail n’est pas du harcèlement criminel, bien qu’il puisse le devenir.  Ce sont deux notions qui ne relèvent pas du même domaine de droit.
Le harcèlement criminel consiste en des gestes posés, sachant que la personne se sent menacée, et qui la font craindre pour sa sécurité ou pour celle d’un proche.
Parmi les gestes qui peuvent constituer du harcèlement criminel : 1) suivre une personne de façon répétée, 2) communiquer avec une personne de façon répétée, 3) cerner ou surveiller une personne, 3) se comporter de manière menaçante à l’égard dune personne.
La peine maximale pour le crime de harcèlement criminel est de 10 ans d’emprisonnement.
Libelle diffamatoire[3]
Il ne faut pas confondre avec l’atteinte à la réputation qu’interdit aussi le code civil.  Par exemple, dans Péladeau c. Lafrance , il s’agissait d’une poursuite civile pour atteinte à la réputation, une poursuite prise personnellement, par une partie civile, en vertu du Code civil.
Le libelle diffamatoire du Code criminel est un crime au même titre que tout autre crime.  Et le droit criminel est public.  C’est donc l’État qui poursuit un individu de libelle diffamatoire en vertu du Code criminel, après que les policiers eurent soumis la plainte au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui l’aura autorisée.
L’infraction de libelle diffamatoire est le fait de publier « sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule ».
 Si l’infraction de libelle diffamatoire porte atteinte à la liberté d’expression, cette atteinte se justifie dans une société libre et démocratique[4].
L’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés
Comme dans tous les documents internationaux de protection des droits de la personne, la Charte canadienne porte une clause limitative.  C’est l’article premier :

« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »

C’est en s’autorisant de cet article que les tribunaux, par exemple, vont juger qu’une règle est discriminatoire, mais que cette discrimination se justifie dans le contexte de nos valeurs sociétales.

Libelle délibérément faux[5]
Il s’agit de la même infraction que celle de libelle diffamatoire, mais pour laquelle la poursuite doit faire la preuve que l’accusé savait fausse l’information qu’elle publiait.
Le libelle diffamatoire et les libelle délibérément faux sont passibles d’une peine maximale de 2 ans.
Propagande haineuse[6]
De la même manière que le libelle diffamatoire, l’interdiction de la propagande haineuse a été jugée par les tribunaux comme une atteinte à la liberté d’expression, mais qui se justifie dans une société libre et démocratique.  Une atteinte acceptable.
Deux formes spécifiques de propagande haineuse sont prévues au Code criminel :  L’incitation au génocide et, de manière plus large, l’incitation à la haine.


 -          Incitation au génocide

 L’incitation au génocide est, évidemment, le fait d’encourager la destruction ou l’asservissement physique dangereux pour la vie d’un groupe identifiable.  La notion de « groupe identifiable » comprend tout groupe qui se distingue des autres par sa couleur, son origine ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle. 

Chercher l’intrus. 
L’inclusion de l’orientation sexuelle est certes bienvenue dans la définition de crime de génocide, tout en étant erronée si l’on pense au sens étymologique du mot « génocide ».
D’ailleurs, la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide incluait uniquement le groupe « national, ethnique, racial ou religieux »
Il est aussi étonnant qu’en décidant d’inclure l’orientation sexuelle, on ait pas aussi choisi d’inclure le « sexe » comme motif possible d’incitation au génocide.  Est donc un crime d'incitation au génocide le fait d'encourager le meurtre d'homosexuels, mais pas le meurtre de femmes.

-          Inciter ou fomenter la haine
On peut être coupable de propagande haineuse si l’on fait une déclaration publique qui incite à la haine contre un groupe identifiable et qui est susceptible d’entraîner une violation de la paix.[7] On peut aussi être coupable de propagande haineuse si l’on fait une déclaration dans le cadre d’une conversation privée de nature à fomenter la haine contre un groupe indentifiable[8].

Le groupe identifiable est toujours celui décrit à la définition du génocide soit : « tout groupe qui se distingue des autres par sa couleur, son origine ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle. »

Il s’agit de sujets délicats, si bien que le code criminel prévoit à l’intérieur même de la disposition des moyens de défense possible à l’encontre d’une accusation de propagande haineuse.   Ainsi, on ne peut pas être déclaré coupable de propagande haineuse si :
1)      Les déclarations étaient vraies
2)      L’opinion est exprimée de bonne foi et fondée sur une texte religieux auquel croit l’accusé
3)      Les déclarations consistaient en un questionnement d’intérêt public et elles étaient considérées comme vraies par l’accusé.
4)      L’accusé voulait de bonne foi attirer l’attention et prévenir la haine contre un groupe identifiable.  (Par exemple, en utilisant l’ironie, l’accusé a fait une déclaration raciste pour démontrer la grossièreté du racisme.  On pense ici automatiquement aux humoristes…  Qu’ils se rappellent de ce moyen de défense!). 
La peine maximale pour le crime de propagande haineuse est de deux ans.


[1] Article 264.1 C.cr.
[2] Article 264 C.cr.
[3] Art. 298 C.cr.
[4] R. c. Lucas, Cour suprême du Canada, 1998.
[5] Article 300 C.cr.
[6] Articles 318 et 319 C.cr.
[7] Article 319(1) C.cr.
[8] Article 319 (2) C.cr.


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