lundi 13 juin 2011

L'accès à la justice criminelle


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Commission des services
juridique du Québec

Lorsqu’on est accusé d’avoir commis un acte criminel, on n’a pas vraiment le choix de se défendre, à moins de plaider coupable à la première occasion.  Et même pour plaider coupable à la première occasion, il sera souvent utile, voire indispensable, d’avoir reçu les conseils d’un avocat.
Se payer les services d’un avocat, quelque soit le taux horaire ou forfaitaire de l’avocat choisi, n’est pas à la portée de tous.

Mais l’aide juridique n’est pas non plus offerte à tous, et tous les types d'actes criminels ne sont pas couverts.
Et même l'aide juridique est offerte à l’accusé, ce ne sont pas tous les avocats de pratique privée qui vont accepter de prendre de tels dossiers pour le motif que c’est souvent équivalent – ou presque –  à du bénévolat. 
On tourne en rond.
Évidemment, pour les personnes admissibles à l’aide juridique, il y a les avocats permanents de l’aide juridique qui, contrairement au mythe populaire, sont des avocats compétents,   qualifiés, et qui travaillent avec coeur.  Mais ils sont surchargés de travail, si bien que le système ne pourrait rouler rondement si les avocats de pratique privée cessaient d’accepter des mandats d’aide juridique.
Il y a aussi la position idéologique de l'avocat qui entre en jeu.  Personnellement, je ne suis pas avocate de la défense pour ne représenter que des riches, et je ne peux absolument pas imaginer une pratique du droit criminel où seuls les clients « payants » mériteraient mon attention.  
D’un autre côté, je ne pourrais pas accepter uniquement des clients sur l’aide juridique, à moins d’être indépendante de fortune, ou à moins d’avoir une pratique de volume, c'est-à-dire de très nombreux dossiers peu complexes.  Ce type de pratique, louable parce que nécessaire, ne cadre pas avec tous les types de personnalité.  Je me trouverais pour ma part aussi étourdie qu'éparpillée.
L’admissibilité financière à l’aide juridique
Le seuil d'admissibilité à l'aide juridique est le même, quelque soit le service requis.  Qu'on ait besoin d'un avocat pour nous représenter dans une accusation de vol simple ou pour aller en appel d'une condamnation pour meurtre après un procès qui aura duré 20 jours, le seuil d'admissibilité est le même. 
En gros, une personne seule doit avoir un revenu inférieur à 13 000$ pour être admissible à l'aide juridique, et un couple avec deux enfants doit avoir un revenu familial brut de moins de 21 300$.


L'admissibilité avec contribution
Malgré ce tarif, il peut être décidé qu'une personne sera admissible, à condition de contribuer financièrement à sa défense. 
La contribution maximale est de 800$, ce qui est raisonnable, mais les seuils d'admissibilité demeurent trop bas.

Les services couverts
On peut dire que généralement, en droit criminel, tous les services sont couverts.  Accusé de vol ou de meurtre, l'aide juridique est offerte.
Là où il peut exister un problème d'admissiblité pour le justiciable, c'est lorsque l'accusation est prise par voie sommaire
Les infractions sommaires
Le Code criminel distingue deux types d’infractions en fonction de la procédure et de la gravité de l’acte, donc de la peine encourue.
Il existe des actes criminels qui sont uniquement punissables par voie sommaire (ex. : la prostitution ou plutôt la sollicitation); des actes criminels hybrides (Le vol, la conduite avec les facultés affaiblies) qui peuvent être poursuivis par voie sommaire ou par acte criminel selon la décision du poursuivant, décision qui reposera le plus souvent sur la gravité subjective du crime et sur la présence ou l’absence d’antécédents judiciaires.; des actes criminels uniquement punissables sur déclaration de culpabilité par acte criminel (L’agression sexuelle, le meurtre).
Dans le cadre d’une poursuite par voie sommaire la procédure est allégée.  Il n’y aura pas d’enquête préliminaire, et pas de possibilité de procès devant jury.
La peine maximale pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire est de 5000$ maximum ou 6 mois de prison.

Le justiciable sera donc admissible à l'aide juridique, même lorsqu'il est poursuivi par voie sommaire, s'il risque la prison, si l'intérêt de la justice l'exige ou s'il y a un risque réel de perte de subsistances.
La décision de déclarer l'individu admissible à l’aide juridique est discrétionnaire, même s’il existe une jurisprudence du Comité de révision établissant des critères précis d’admissibilté en pareil cas.
Aussi ai-je réalisé la semaine dernière qu’au Centre communautaire juridique de Montréal, section criminelle, les justiciables qui téléphonent concernant une accusation sommaire se font répondre par la réceptionniste que « ce n’est pas un service couvert ».  Mauvaise réponse.  Je les invite donc à se rendre tout de même au bureau à compter de 13h00 et de rencontrer un préposé à l’admissibilité qui étudiera leur dosser en fonction de ces trois critères.
On entend aussi dire, bien souvent, et même chez les avocats que  « les poursuites sommaires ne sont pas couvertes parce qu’il n’y a pas de risque de prison ».  D’abord, il est faux de dire qu’il n’y a aucun risque de prison dans le cas d’une poursuite sommaire.  Ensuite, la jurisprudence est claire: le risque de prison n’est pas tout.  Un individu qui risque de perdre son statut de réfugié devrait être admissible à l’aide juridique, même s’il n’y a pas de risque de prison.  Même chose pour un jeune étudiant en science politique qui verrait son futur détruit par une antécédent judiciaire.

Le tarif des honoraires des avocats
Mais ce n'est pas tout d'être déclaré admissible à l'aide juridique.  Il faut trouver un avocat qui acceptera de prendre le mandat au tarif de l'aide juridique.
Un dossier « ordinaire », peu complexe, qui n’est pas un dossier de meurtre, et qui aurait exigé une enquête préliminaire d'une seule journée, et d'un procès d'une seule journée, sans enquête sur remise en liberté, aura rapporté à l'avocat 550$.
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Si le dossier a exigé la tenue d'une enquête sur remise en liberté, une journée et demi d'enquête préliminaire et deux jours de procès, il aura rapporté à l'avocat 1345$.
C’est ce qu’on appelle une blague.  Une blague d’autant plus hilarante, et inquiétante, que l’avocat qui aura conseiller à son client de plaider coupable aura droit aux même émoluments que celui qui aura fait un procès. Certes, il faut étudier la preuve avant de conseiller un plaidoyer de culpabilité, mais il est évident que la somme de travail, au bout d’une année, ou deux, n’est pas la même.
Par voie sommaire, les dossiers rapportent normalement à l’avocat 330$. 
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C’est encore une bonne blague.

Les dossiers d’appel « ordinaires » rapportent aux avocats 1110$ (200$ de plus si on demande à la Cour la permission de se pourvoir en appel malgré que les délais soient dépassés).  Savez-vous la somme de travail consacré dans un dossier d’appel?  Savez-vous qu’une argumentation écrite, en appel, demande à n’importe quel avocat entre une semaine et 2 semaines de travail à plein temps?  On accorde à l'avocat 330$ pour la recherche et la rédaction de ce mémoire d'appel.

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C’est ce qu’on appelle une insulte.
J'ai parlé plus haut du seuil d'admissibilité à l'aide juridique qui est indifférencié selon le type de dossier.  Il faut comprendre que peu de gens, suivant la grille, sont admissibles à l'aide juridique.  Il faut aussi savoir qu'un dossier d'appel, simplement en frais de transcriptions des débats au procès et en confection du mémoire coûte en moyenne entre 5 000 et 25 000$.
C'est donc dire qu'à moins d'être admissible à l'aide juridique, l'accès au recours en appel appartient uniquement aux riches.
Les individus de la classe moyenne, s'ils ont les moyens, grâce à un emprunt bien souvent, de se payer un avocat pour une accusation de conduite avec les facultés affiablies, n'ont tout simplement pas les moyens d'aller en appel en cas de condamnation dans la plupart des cas où le procès aura duré plus de 3 ou 4 jours.  Et encore...

Un dossier disciplinaire en droit carcéral, c'est-à-dire le fait de prendre la défense d’une accusé d’une infraction disciplinaire à l’intérieur des murs rapportent un maximum de 250$... 


Comment voulez-vous que des avocats acceptent, à ce tarif, d’aller faire un procès dans un pénitencier?  Résultats :  les détenus se représentent seuls, pour la plupart, et sont condamnés.  Et leur libération conditionnelle est retardée.  Parfois pour avoir été accusé d’avoir fumé une clope en cellule, alors que c’est un autre qui a fumé la fameuse clope. 

Dépassement d'honoraire pour dossiers complexes
Pour parer au caractère dérisoire des honoraires de base, les avocats peuvent demander, à la fin du dossier -quand bien même ce dossier aura duré 24 mois - que leur soit accordé un « dépassement d'honoraires».  Il faut pour cela que la cause ait été complexe, et le travail considérable.
Les avocats vont alors produire un compte d'honoraires supplémentaire basé sur une facturation au taux horaire.
L'octroi de cette rémunération pour dépassement honoraire est discrétionnaire:  La décision de la complexité ou non de la cause est discrétionnaire, la qualification de son degré de difficulté est discrétionnaire, le taux horaire est discrétionnaire.  C'est dire que l'avocat qui demande une considération spéciale pour dépassement d'honoraires ne sait jamais combien il recevra.  Il sait toutefois qu'il ne recevra jamais plus du quart de ce qu'il a facturé.  Il sait aussi qu'il devra prendre rendez-vous avec le comité de conciliation afin d'en recevoir un peu plus.

Tout ceci est épuisant, et c'est ce qui amènent certains avocats de pratique privée à refuser les mandats d'aide juridique.
L'auteure de ces lignes est bien consciente que la population n'est pas encline à s'appitoyer sur le sort des avocats de la défense.  Mais c'est d'accès à la justice dont il est question.




2 commentaires:

  1. C'est effectivement épouvantable!

    Une des raisons qui m'a poussée à... me pousser du droit, une fois mon bacc en poche, a justement été reliée à l'accès à la justice. Parce que ce que j'aurais aimé faire, c'est vraiment de l'aide juridique. Sauf que déjà il y a quinze ans, quand on y regardait de plus près, on se rendait compmte que pour une avocate qui a son boulot à coeur, travailler à l'aide juridique voulait dire être payée en arachides pour être mise dans une situation intenable, soit avoir beaucoup plus de boulot que d'heures dans une journée.

    À l'époque, franchement, entre ça ou les bureaux où le sexisme était généralisé et où on n'aurait jamais voulu de moi de toute façon (les moules me conviennent rarement et... ça paraît!)... eh ben le système juridique en a perdu une (et plus d'une!).

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  2. Moi ce qui m'a fait le plus sursauter, et par ricochet m'a le plus désillusionné, est quand j'ai lu dernièrement que les coûts moyen d'un procès civil est de 20 000$.

    Pour bien des causes ou pour bien des gens, un tel montant est injustifiable ou simplement absent; les gens avalent, ne se defendent pas ou choisisse l'état de nature, la nuit noire et se font justice eux-même.

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